La mission intégrale, ou la transformation holistique, est la proclamation et la mise en pratique de l’Évangile. Il ne s’agit pas simplement de faire à la fois de l’évangélisation et de l’action sociale. Au contraire, dans la mission intégrale, notre proclamation a des conséquences sociales, puisque nous appelons à l’amour et à la repentance dans tous les domaines de la vie. Et par ailleurs, notre implication sociale a des conséquences pour l’évangélisation, puisque nous témoignons de la grâce transformatrice de Jésus Christ.
Si nous ignorons le monde, nous trahissons la Parole de Dieu qui nous envoie dans le monde. Si nous ignorons la Parole de Dieu, nous n’avons rien à apporter au monde. La justice et la justification par la foi, l’adoration et l’action politique, le spirituel et le matériel, le changement personnel et le changement structurel, tout cela va de pair. »
Jésus, Sauveur et modèle
Selon les initiateurs de la mission intégrale, ce concept n’apporte en réalité rien de nouveau sous le soleil, en disant qu’il est parfaitement en continuité avec Jésus lui-même qui a démontré le lien intrinsèque entre « être, dire et faire ». Dans l’un de ces livres, Samuel Escobar décrit Jésus comme « le meilleur missionnaire de Dieu », ou bien « le missionnaire par excellence », et donc le modèle à suivre. Ceci est un point récurrent dans le discours de la mission intégrale : la personne et le ministère du Jésus-Christ ne sont pas seulement le contenu de l’Évangile, mais aussi l’exemple à suivre dans la manière dont nous en rendons témoignage. On parle alors du modèle christologique de la mission. Escobar exprime bien ce point de vue :
« Si le Christ est au centre de l’Évangile et de l’activité missionnaire, sa façon d’être le missionnaire de Dieu devient aussi un modèle pour notre vie et notre mission. »
Par conséquent, le discipulat fait partie intégrante de la mission. Alors, nous allons lire les Évangiles avec un intérêt nouveau. En écoutant et en observant le Seigneur, nous trouverons une sorte de « feuille de route » pour nous qui sommes ses témoins. Comme le dit encore la Déclaration du Réseau Michée :
« Être, faire et dire, comme vivait Jésus, voilà le cœur de notre tâche intégrale. Dans sa vie de service et de sacrifice, Jésus-Christ est le modèle pour tout disciple chrétien. Dans sa vie et par sa mort, Jésus nous a donné un modèle d’identification avec les pauvres, pour inclure les exclus. À la croix, Dieu montre combien il prend la justice au sérieux : il y réconcilie avec lui-même aussi bien les riches que les pauvres en remplissant les exigences de sa propre justice. Nous servons les pauvres par la puissance du Christ ressuscité, avec l’aide de l’Esprit dans notre marche. Nous trouvons notre espérance en sachant que tout sera assujetti au Christ, et que le mal sera enfin vaincu. Nous confessons que, trop souvent, nous n’avons pas vécu une vie digne de l’Évangile.
La grâce de Dieu est le battement du cœur de la mission intégrale. Nous qui recevons un amour immérité, nous devons montrer bonté, générosité et ouverture aux autres. La grâce transforme la notion de justice : celle-ci n’est plus réduite au simple respect d’un contrat, mais elle exige que nous aidions les plus défavorisés. »
L’intérêt de ce texte, commente Bernard Huck, est qu’il s’efforce de « faire aller de pair » action sociale et évangélisation « en fondant cette démarche christologiquement».
L’idée sous-jacente – la mission de Dieu
Un autre élément est à souligner. L’idée sous-jacente de la mission intégrale est le concept de la missio Dei, la mission de Dieu, c’est-à-dire le plan de salut que Dieu veut réaliser. Sa mission englobe tous les domaines de la condition humaine. Nous l’avons expliqué dans l’article précédent. L’Église est appelée à servir ce dessein de Dieu, à y participer disent certains. Pour la mission intégrale, c’est un point important. Le missiologue sud-africain, Steve Gruchy, a résumé le lien entre la mission de Dieu et la mission intégrale en sept thèses :
« 1. Le travail de Dieu dans ce monde – la missio Dei – est l’œuvre de shalom.
Cela signifie la paix dans la justice, qui se manifeste dans quatre domaines : la paix entre l’homme et Dieu, la paix entre les humains, la paix entre l’homme et la nature, et la paix de l’homme avec lui-même.
- Jésus incarne cette œuvre de Dieu, et il le manifeste en apportant le salut aux pauvres, aux malades, aux aveugles, aux prisonniers et aux marginalisés. Il nous donne sa paix.
- Cette paix est cachée dans l’histoire, mais elle brille déjà un peu dans la proclamation du Royaume de Dieu, au milieu du péché et de la souffrance. À la fin de notre ère, Jésus-Christ établira le Royaume de Dieu dans sa plénitude.
- L’Église doit participer à la missio Dei. En ce faisant, elle doit être ouverte à tous. Elle ne peut exclure personne de sa mission en paroles et en actes, car elle est basée sur la grâce de Dieu.
- La missio Dei ne fait aucune distinction entre la spiritualité et la réalité physique. Dans cette mission, la prière, la prédication et l’évangélisation vont ensemble avec des actions dans tous les domaines : écologique, social, éducatif, économique et politique.
- L’Église doit se rendre compte qu’elle vit dans le temps entre la résurrection du Christ et son futur avènement. Par conséquent, elle doit résister à une double tentation : d’une part mettre l’accent exclusivement sur l’avenir du Royaume et la vie éternelle, et d’autre part se concentrer uniquement sur la justice dans ce monde.
- Le cœur de la mission intégrale est la communauté des fidèles. Il y a une relation dynamique entre les aspects collectif et personnel. Par la prédication de la Parole de Dieu et par les sacrements, le croyant participe à la vie de la communauté, et ainsi à son témoignage dans le monde. »
Au-delà de certaines dichotomies
Un intérêt particulier de la mission intégrale est de dépasser la dichotomie entre évangélisation et responsabilité sociale, nous l’avons dit. D’autres dichotomies liées à l’idée traditionnelle de la mission sont également en ligne de mire. Vinoth Ramachandra souligne que « cette idée, malgré ses faiblesses, a inspiré des milliers de missionnaires transculturels qui ont écrit quelques-unes des plus belles pages de l’histoire de l’Église ». Mais elle est porteuse de « dichotomies néfastes » : entre ici et champ missionnaire, entre Église d’envoi et Église d’accueil, entre missionnaires et chrétiens ordinaires, entre vie de l’Église locale et mission au loin.